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Née à Marseille, locataire d’Erilia, Nicole Petit a vécu 40 ans à la Castellane où elle avait un salon de coiffure. Dans le cadre d’un projet de renouvellement urbain, la tour dans laquelle elle habitait va être démolie et Nicole a été relogée dans une résidence neuve.
Le 9 février 2015, le ministre de l’Intérieur Manuel Valls, alors en visite à Marseille, a souhaité se rendre à la Castellane. La Castellane ? C’est le quartier le plus connu de Marseille, celui de tous les contrastes ! Une cité auréolée du prestige de Zinedine Zidane qui y est né, mais aussi dénoncée comme étant le lieu de tous les trafics !
Le ministre y a été accueilli par des tirs de kalachnikov ! Nous avons tous été très impressionnés par les cars de CRS, le déploiement des policiers dans tout le secteur. La Castellane a fait la une des journaux télévisés, survolée par des hélicoptères. Je ne l’avais jamais vu d’aussi haut ! Je l’avais maintes fois traversée de part en part, mais pour la première fois de ma vie, je l’ai regardée autrement et j’ai compris pourquoi les policiers n’y venaient plus depuis longtemps. C’est un véritable labyrinthe.
À la suite de cette visite, une décision a été prise : faire tomber les deux tours et percer une grande rue centrale afin de libérer les lieux des trafics de drogue. Nous allions devoir partir… La fin d’une histoire de quarante ans dans la tour K.
Tout a commencé en mai 1969, lorsque je me suis installée dans cette tour de la Castellane, l’ambiance était très agréable. C’était une cité cossue qui avait tous les commerces de proximité, la Poste, les services publics. Une ville dans la ville. Le centre social était bien géré et une magnifique salle des fêtes nous accueillait pour organiser des réveillons inoubliables où tout le monde était bienvenu. Nous étions un peu comme une famille. C’est là que je me suis mariée. Dans mon immeuble, nous étions douze couples de la même génération. Nous avons vécu côte à côte et nos enfants ont grandi ensemble. C’était la belle époque ! Mais petit à petit, les choses ont changé, dégénéré et la Castellane est devenue une cité-dortoir, un coupe-gorge.
Je connaissais l’existence de ces trafics ; je voyais bien ce qui se passait. Je suis coiffeuse et mon salon était au bas de la tour K. J’avais une vue presque à 360° et les allées et venues des guetteurs ne m’avaient pas échappé. Pourtant, nous étions comme dans un village et, malgré tout, j’aimais bien ma vie là-bas.
C’est une grande cité avec pas moins de 1 200 logements, mais c’était chaleureux. Mon salon de coiffure était l’un des rares commerces encore ouverts. Je connaissais beaucoup de monde et chacun aimait à me faire des confidences. On m’appelait la doyenne ! Mon salon de coiffure devenait parfois un véritable salon de thé : les femmes venaient se faire coiffer et nous discutions autour d’un café. On se croisait dans la rue, on discutait, on sortait prendre le frais… On avait lié beaucoup d’amitiés : Sylvie, Hervé, Nabila… Entre nous, il n’était question ni de Blanc, ni de Jaune, ni de Noir : on était tous pareils et si j’avais demandé la lune, j’en connais plus d’un qui serait allé me la chercher. Contrairement à ce que les gens pensent, il y a beaucoup de belles personnes dans les cités, il y a de l’entraide, de la solidarité. Tout le monde est là pour se donner la main.
Un jour, le couperet est tombé : il fallait déménager. La tour K détruite, nous allions être séparés de nos amis. À notre âge, c’est difficile de tisser de nouvelles relations. C’est pourquoi j’ai fait part à Erilia de notre tristesse à l’idée de perdre en un jour plus de quarante années de fraternité. Le bailleur nous a écoutés, rassurés et promis de faire tout ce qui était en son pouvoir pour nous aider.
Quelques mois plus tard, il est revenu avec une proposition concrète : un petit immeuble neuf dans un quartier résidentiel qui pourrait tous nous loger. Nous allions finir notre vie ensemble ! Le jour de la signature du bail a été un jour de fête : nous étions comme des enfants et passions d’un appartement à l’autre. Cette journée nous a soudés plus que jamais.
Et la cité ? Les tours se sont vidées petit à petit et seront bientôt détruites. J’y suis retournée hier pour rendre visite à une amie : j’ai été traitée comme une star ! Des immeubles, les gens descendaient me saluer. Je m’y suis mariée à 22 ans, j’en avais 66 quand je l’ai quittée, pour moi une nouvelle vie commence, mais je n’oublierai jamais la Castellane !